prose
L'égout aux reflets dorés
Fuir la terreur de nulle part et courir trop vite. La chaussée ravie ouvre sa bouche goulue. La chute brute est sans plâtre, mais on vêtit la pensée d'un bonnet, d'un pansement. Et pénétrer l'égout aux reflets dorés, calfeutré On pend morale, scandale à un clou. Lisses en façade, ils agonisent, ils finiront bien par crever. Et fantasmer sa folie dans le'coin aux miroirs, celle-la n'a besoin que de toi. Couler d'un crachat à l'oeil l'ennui décroché, médusé. Il ne finira pas comme Narcisse.
La barque à la graisse d'éther glisse tranquille dans le tunnel. Dévisager la déesse décomposée qui pleure sa raide créature, un boa chic autour du cou. Elle entame sa dernière mue. Ramasser la belle qui traîne dans le caniveau. Elle croyait y trouver un mari. Ça parle seul, on est son meilleur public. L'un dort dans les bras d'une statue moisie. Vivre l'a fatigué. L'autre cherche en regardant ses pieds. On reviendra le voir quand il aura trouvé. Un poète s'est pendu au lampadaire allumé. C'était écrit. On lui remet son chapeau tombé. C'est l'honneur, il est bien tombé. Un escroc donne ses coupures. Il pense blanchir son âme. Un gentil se prend pour fils de dieu. Il a peur d'être méchant. Sacré fils à maman.
Est-ce charité aux morts, hospice aux vivants ? Ça doit être asile de fous. Cette parenthèse tinte pathétique, ces deux couvercles enferment debout. Ils racontent une histoire close. A la nuit tombée, fait-on de bonnes rencontres ? Cet endroit à l'abri des autres, des conformes ne connait pas le jugement.
L'arbre et le hibou
L'arbre soupire, dit au hibou :
« Je n'ai plus de feuilles,
L'automne m'a déshabillé,
Mes ailes roussies piétinées,
Le vent dévore, je m’évapore ».
Le hibou lui dit : « Je veille,
J'ai le manteau et le parapluie,
Car l'hiver passe par là ».
L'arbre souffle, dit au hibou :
« Je vois le voyeur, l'idolâtre,
Il ligote la Pudeur nue à moi,
Mon élève est prisonnière,
Corps sur l'écorce elle pleure ».
Le hibou lui dit : « Je suis discret,
Cette nuit, je vais libérer ta belle,
Tricote tes feuilles pour elle ».
Fidèle, le temps repassera
Elle se lève, sa pensée s'étire,
Dans la fiole aux évidences,
Le sable glisse imperturbable.
Le Temps est son bel épris,
Son maître, son avenir,
Leur vie, oeuvre d'art,
Trop libre pour voir dieu,
Il rappelle qu'il est dieu.
Le Temps est passé,
Mais elle n'était pas là,
Il a laissé un mot, complice,
"J'éclaire les graines du possible,
Je sème les fèves de grenat".
Fidèle, il repassera, elle sait,
Comme cette dernière fois,
Ils ont ri sur son lit de mort.
Il laisse son lit de lavande
Bonjour, merci, s'il vous plaît,
Cultivant le tact en son potager,
Il astique ses fleurs en plastique,
La souris a mis ses chaussons,
Elle effleure sans même toucher,
Il cache sa peine d'un voile,
Marchant sans déranger,
Il laisse son lit de lavande,
La gentillesse est son habit.
Chère beauté
Elle est rose, la belle, l'adorée,
Se dressant reine au delà des lys,
Pour elle le temps des charmants,
Ils chantent les airs de velours.
Elle s'offre, d'un sourire se lasse,
Honorée sur un dôme de pétales,
Le vent amoureux caresse
La grâce de l'insoumise,
L'aura libre, chatoyant,
Au gré du destin flamboyant.
Le temps punit les glorieux,
Les humeurs passagères arrivent,
A l'aube, l'âme pleure esseulée,
Sa robe pourpre s'efface en noir,
Froissée, devenue poussière,
Le vent la brise volant ailleurs.
Et se lève le chant des pleureuses,
Sa beauté qu'on met en cendres,
Le ciment des derniers mots
Raconte la vie exaltée.
Le lampadaire
Dans un appartement choisi comme repère,
D'un être en fuite cherchant son sens, ses repères,
Seule, je restais éblouie par le lampadaire,
Ma lune, mon soleil dans cette cité dortoir.
Oubli des pensées, affalée près du bougeoir,
Qui éclairait ma psyché bien noire ce soir.
Comme compagnie, je regardais le miroir,
Etait-ce mon corps vivant que je voulais voir ?
Je n'y vis que la lumière de mes déboires
Avec mon esprit fuyant dans l'imaginaire.
Je pensais aux amours dépassées, leurs travers,
Le conscient, l'inconscient, leurs tortueux mystères.
D'un coup ! Dans l'opaque silence, le tonnerre
Eclata le lampadaire. Cernée de verre
Et d'ombres, la panique et l'horreur arrivèrent,
Juste un halo rouge sang menant au couloir
De la mort pour les âmes perdues, délétères.
Idées et délire s’illuminaient tel l'éclair
Quand petite culotte, je valsais légère
Devant mon voyeur et obsédant partenaire.
J'étais femme dans un polar craignant le pervers,
On me trouverait poignardée dans la baignoire,
Ou étranglée, gisant, sur le lit en peignoir,
Découvrir mon cadavre dans le frigidaire,
Visage blanc, de glace, parti dans l’éther.
Avec un lourd poids je me noyais sans nageoires,
Ma raison figée, j'étouffais, pas un brin d'air
Pour balayer la pire peur des solitaires,
Sensibles au temps qui galope, à la vie passagère,
Sans foi, se rêvant rois, voguant la mort dans l'air.