Une lettre à l'ancienne
Écrivez-moi une lettre à l'ancienne,
Avec l'adresse terrienne de ma maison,
Vous seul l'avez, vous faîtes toutes mes saisons,
Les mers de carte postale au bleu de sienne.
Art muet pour les autres criards sans raison,
Et moi, ai-je jamais fait œuvre de raison ?
Je ris, bête, la vie se touche, est doux mécène,
Le soleil aussi, tout rond il chauffe la scène.
Une fleur séchée dans le gros livre assène
Les vérités fragiles, les sens à foison.
Protégez-moi des modernes, des obscènes.
Vous lire trouble. Quelle douce pâmoison.
Le deuil exalté
_ "Je ne peux voir l'impudeur de tes pleurs,
Ravale ton dégoulinant malheur,
Ce deuil exalté des morts m'indispose,
Ils sont partis, c'est propre,, ils reposent.
Ton rite est baroque, il apause,
Les cris affolés, les riches couleurs
À l'encens. Les lourdes senteurs supposent
La mort jamais finie, là, créant l'heure".
_ "Ta marmite sans goût clot la chaleur,
Couvercle tremblant, suantes paleurs.
Mon charbon brûle, saigne et s'expose,
Ça tord les boyaux puis enfin repose".
La voix de secret
La voilà tombée dans la grotte, lasse,
Sa voix née des secrets se faisait basse,
Le silence s'ennuyait, approuvait,
Loin des bruits grossiers, ils se sont trouvés.
Amochės, bruts, mais leur mal a la grâce,
Ce chagrin cousu en cave ressasse
Sans mots la grosse chose éprouvée,
Celle immense de l'âme crevée.
L'obscur ne voit pas, ressent, cadenasse
Cette lumière trop vraie, trop vorace.
Un voile couve le broc. On avait
Rempli de vieux pleurs les bocaux sauvés.
Brave cruche
À la femme, ils boivent la pensée,
Les grandes cravates aux bouts rapiécés,
Laissons-lui les pots, les fleurs hardies,
Le tendre jardin épanouit, on dit.
On la vidait, elle se remplissait,
Brave cruche aux formes arrondies,
Un goût d'enfer, souffre et paradis,
Rangeons-la, elle pourrait offenser.
Les femmes savent-elles bien penser ?
Je ne pense pas, dit un érudit,
Cris et pleurs, j'ai peur, croit le rabaissé.
Puis dit tout bas, c'est quand même maudit.
Le puits éternel
Assoiffé, il se traîne vers le donneur d'eau,
Cet homme brave près de son puits éternel.
_ "Je te donne tout", crie-t-il, riche, l'or sur son dos,
Il se faufile, freiné par la sentinelle.
_ "Arrogant ! Le champagne porte ton radeau" !
_ "Je veux l'eau, à toi les diamants éternels".
_ "J'ai les étoiles, ces joyaux sur ma tonnelle,
Ton or est mort, croque-le, il est ton fardeau".
"Vois le pauvre, l'humilité fraternelle,
Terre, bras perdus pour vos ors, gagnant une aile,
Il sait le manque charnel pour un verre d'eau,
Qu'en toi, tinte une sournoise goutte d'eau".
Hélas
Hélas, les aimés sont rentrés trop tôt,
Mais on les retrouve à chaque hiver,
On va au bois, on court, on vole vers
Eux pour l'ancien feu aux tendres coteaux.
La lune veille nos rires tantôt
Doux, tantôt fiers. Mais le chemin au vert
S'est terni. Les os au chaud, la torpeur s'avèrent
Rêve. On part les morts dans son manteau.
Le goulot bien étroit
La fiole d'alcool venue l'engloutir,
Le goulot bien étroit pour en sortir,
Il est Ivre d'effluves calfeutrėes,
Content, barbotant, le réel vitré.
Puis, il a fait des vagues, agité,
El la fiole tombée a projeté
Hors d'elle le nouveau né sevré. Il tire
Un vieux sur la rive. Vivant martyre.
La belle et le démon
Un démon s'est penché sur son berceau,
Pour elle, beauté, or, intelligence.
Joie, fardeau en guerre vont à l'assaut
D'enfers gracieux, les merveilles s'agencent.
L'ivresse apprend, mûrit l'exigence,
Oubliant les passions frustrées des sots.
Et elle ? Au démon son allégeance,
Il la noiera dans un tendre ruisseau.
Bain de miel
L'amie d'enfance nostalgie,
Amours d'aubes jeunes, pressées,
Chandelles, bien de miel où gît
Un démon goûteux embrassé.
Il a pris les doux empressé,
Même toi tu m'as délaissée,
Engluée, sucrée de magie,
Flambant nos fugaces bougies.
Le Héros qui pleurait
C'est une immense armoire à miroirs,
Celle de la grand-mère qui engendra l'As.
On s'y voit, on la polit, on croit qu'on la casse,
Bâtir la grande histoire, remplir les tiroirs.
Les femmes s'admirent, se pâment, frustrées jacassent,
Et les hommes observent leur petite race,
S'essayant, gesticulant pour venir s'échoir,
Le Héros n'y voit qu'une ridicule foire.
Lui ne sentait que son propre mouroir de face,
Tout en ressortant de son armoire à glace.
Il pleurait sa jeune mort plein de désespoir.
Cachée, j'ai vu sa larme fêler cette armoire.