L'égout aux reflets dorés
Fuir la terreur de nulle part et courir trop vite. La chaussée ravie ouvre sa bouche goulue. La chute brute est sans plâtre, mais on vêtit la pensée d'un bonnet, d'un pansement. Et pénétrer l'égout aux reflets dorés, calfeutré On pend morale, scandale à un clou. Lisses en façade, ils agonisent, ils finiront bien par crever. Et fantasmer sa folie dans le'coin aux miroirs, celle-la n'a besoin que de toi. Couler d'un crachat à l'oeil l'ennui décroché, médusé. Il ne finira pas comme Narcisse.
La barque à la graisse d'éther glisse tranquille dans le tunnel. Dévisager la déesse décomposée qui pleure sa raide créature, un boa chic autour du cou. Elle entame sa dernière mue. Ramasser la belle qui traîne dans le caniveau. Elle croyait y trouver un mari. Ça parle seul, on est son meilleur public. L'un dort dans les bras d'une statue moisie. Vivre l'a fatigué. L'autre cherche en regardant ses pieds. On reviendra le voir quand il aura trouvé. Un poète s'est pendu au lampadaire allumé. C'était écrit. On lui remet son chapeau tombé. C'est l'honneur, il est bien tombé. Un escroc donne ses coupures. Il pense blanchir son âme. Un gentil se prend pour fils de dieu. Il a peur d'être méchant. Sacré fils à maman.
Est-ce charité aux morts, hospice aux vivants ? Ça doit être asile de fous. Cette parenthèse tinte pathétique, ces deux couvercles enferment debout. Ils racontent une histoire close. A la nuit tombée, fait-on de bonnes rencontres ? Cet endroit à l'abri des autres, des conformes ne connait pas le jugement.
Dis-moi, le Temps avance, vagabonde ?
Dis-moi, qu'aurais-tu pensé de ce monde,
Toi qui n'est maintenant plus de ce monde,
Tu n'as pas changé, toi qui n'a plus d'âge,
Chaufons nos veines par un lent breuvage.
Dis-moi, le Temps avance, vagabonde ?
Nous nous tournions entraînés dans sa ronde,
Le précepte d'hier, présent présage.
Tu lui ressembles. Le même visage.
Sorcière à la beauté fière
La vieille fille est jolie,
Sorcière à la beauté fière,
Ils'l'ont perchee, oiseau de fer,
Girouette des peurs, folies.
Cheveux longs, allure altière,
Chignon trop mignon qu'ils délient,
Ils cherchent des poux, des délits.
La horde la renifle grossière.
Femme sans poux, ils la cueillerent
A vif, projetant leurs pleurs pâlis.
Las, s'embrasant près de son lit,
Volant ses nuits, âcre lumière.
Pourtant Narcisse était solitaire
Pourtant Narcisse était solitaire,
Devant son miroir d'eau, il se plaisait.
Les autres, vide crochu, prédisaient
Le monde trop plein des cris délétères.
Tu es si beau, laid, idiot ou rusé,
La horde se gave, repue du parterre
De harpies croupies, accroupies, brisées,
Derrière leur vitre, ça déblatére.
Image où il pose son baiser.
Ils l'aimeront, statue d'un jour prisée,
Devenue simple caillou qu'ils jetèrent
Au loin. Narcisse était solitaire
Vivants après toi
C'est écrit dans les cieux, ont dit
Les étoiles. Lève les yeux, lis.
Je ne vois pas, ça m'eblouit,
Je ne peux pas, ça m'engourdit.
Je ne veux pas des paradis
Ou enfers fermés qui convient
Au festin sans faim, dur, rassi,
Suis tendre pierre impolie.
J'ai fui le destin d'or durci,
Libre, ivre de tout, j'ai choisi.
Vivants après toi, infinis,
Vois les astres qui t'ont choisi.
Ici, on se tait
Ici, on se tait, tout est calfeutré,
Venez avec vos erreurs de grand dadais,
Mais s'il vous plaît, ne venez pas fardés,
Laissez loups, chapeaux raides à l'entrée.
L'orgueil meurt, la mémoire débridée,
Elle va dans tous recoins, éventrée,
Explosant, peignant sur les murs d'un trait.
Ils courent vains, leur passé succédait.
C'est labyrinthe aux vielles idées,
Fantômes fissurés le teint fardé,
Humain, on ne resort que par l'entrée.
Prenez l'enfant, la canne peut céder.
La vie en mieux
Être naïve, souple hirondelle,
Aller vers d'autres cieux où l'herbe est bleue,
Où la nuit est jaune, chauffe en creux,
Sentir, fuir le danger d'un seul coup d'ailes.
Quand la nuit trompe le jour infidèle,
Tu interprètes, oublies qu'on est deux,
Tu n'es rien sans moi, dit le froid épris d'elle.
J'ai un poids. Je cherche la vie en mieux.
La dernière nuit
J'ai fait tout ça pour cesser de penser,
J'ai fait tout ça pour rester un gamin,
Je barbouille, grifouille insensé,
Retrouver le sens sera pour demain.
Mais il y a un sens à tout, pressé
De te trouver. L'ennui baise sa main,
L'enmene au lit pour l'oubli, enlassés,
Son gros sac délaissé sur le chemin.
Son lit haut dans l'arbre, la pluie rincait
Le creux fertile où tout s'est tassé.
La mort l'aime, tatoue rouge carmin,
L'oubli, dernière nuit sans lendemain.
Parler au grand poète
Petit aux petits mots n'était pas inspiré,
Comment dire la barbarie ? Vieux casse-tête.
Il monte ou descend parler au grand poète,
Le diable ricanne, dit c'est désespéré.
Ils sont trop bêtes, dansons avec les bêtes,
Ils sont trop chauds, la feuille brûlée, évaporée.
La mort gifle. Le sang gicle, rien ne l'arrête.
Le mot faible est vaincu. Il meurt raturé.
Suis dans mon trou peinard, dit le grand poète,
Mais leurs râles, sales bruits infiltrent ma tête,
Ils trouent mon crâne pourtant usé, effaré.
Là, ange, démon, font la paix, enamourés.
Méfie-toi, il sait tout ce vieux rapace
Tu as cru que ce grand bonhomme se fuyait,
Il suit, coince un matin dans l'impasse.
Pas comme toi, un mal bien habillé,
Bien réveillé, il lave et repasse.
C'est sûr, c'est le Réel sûr qui vient broyer
Ta magie éperdue puis perdue face
Au type maigre venant festoyer.
Méfie-toi , il sait tout ce vieux rapace.
En plein cagnard, place nue, dépouillée,
Et la tête fumeuse qui bouillait,
Empalée sur une perche de glace.
Le sourire morbide. La grimace.